30-04-2024

Faits 

Depuis octobre 2012, J.M.A.R. était employé par Ca Na Negreta, une entreprise espagnole de gestion des déchets, en qualité de chauffeur de camion d’enlèvement de déchets ménagers. Dans ce cadre, il conduisait à temps plein des véhicules motorisés lourds.

En décembre 2016, il a été victime d’un accident de travail, qui a entraîné une fracture ouverte de son calcanéum droit, à la suite duquel il s’est trouvé en situation d’incapacité de travail temporaire.

Le 16 février 2018, l’Institut national de la sécurité sociale (INSS) d’Espagne a décidé de mettre fin à cette incapacité de travail temporaire, en lui octroyant une indemnité forfaitaire pour lésion permanente, d’un montant de 3120 euros. L’INSS a toutefois refusé de lui reconnaître une incapacité de travail permanente, qui lui aurait ouvert un droit à une indemnité mensuelle. J.M.A.R. a introduit un recours contre cette décision de refus.

Le 6 août 2018, J.M.A.R. a demandé à son employeur sa réaffectation à un poste adapté aux séquelles de son accident de travail. 

Son employeur ayant accepté, J.M.A.R. a exercé un poste de chauffeur dans le secteur des points de collecte mobiles, qui était physiquement moins exigeant et qui impliquait un temps de conduite réduit (environ 40 minutes par jour).

Le 2 mars 2020, la juridiction espagnole compétente a reconnu à J.M.A.R. une incapacité permanente totale d’exercer sa profession habituelle et lui a, partant, reconnu le droit de percevoir une indemnité mensuelle égale à 55% de son salaire journalier.

Le 13 mars 2020, son employeur lui a notifié la résiliation de son contrat de travail au motif de son incapacité permanente totale à exercer sa profession habituelle, ce que permettait expressément le droit social espagnol. J.M.A.R. a introduit un recours suite à son licenciement.

Le 24 mai 2021, la juridiction du travail espagnole, saisie en premier degré, a rejeté ce recours au motif que l’incapacité permanente totale à exercer sa profession habituelle justifiait qu’il soit mis fin à son contrat de travail, sans que l’employeur ne soit tenu par une quelconque obligation légale de réaffectation à un autre poste au sein de l’entreprise.

J.M.A.R. a interjeté appel du jugement rendu. 

Constatant que le droit espagnol n’avait pas été adapté pour tenir compte du droit international et du droit de l’Union, la juridiction d’appel espagnole a saisi la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles portant, plus particulièrement, sur la compatibilité du droit espagnol avec l’article 5 de la directive 2000/78.

Arrêt

Par son arrêt du 18 janvier 2024, la Cour de justice de l’Union européenne dit pour droit que l’article 5 de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit que l’employeur peut mettre fin au contrat de travail au motif que le travailleur est dans l’incapacité permanente d’exécuter les tâches qui lui incombent en vertu de ce contrat, en raison de la survenance, au cours de la relation de travail, d’un handicap, sans que l’employeur soit tenu, au préalable, de prévoir ou de maintenir des aménagements raisonnables en vue de permettre à ce travailleur de conserver son emploi, ni de démontrer, le cas échéant, que de tels aménagements constitueraient une charge disproportionnée.

La Cour rappelle les enseignements issus de son arrêt HR Rail rendu en date du 10 février 2022, par lequel elle a jugé que, lorsqu’un travailleur devient définitivement inapte à occuper son poste de travail en raison de la survenance d’un handicap, sa réaffectation à un autre poste de travail est susceptible de constituer une mesure appropriée dans le cadre des aménagements raisonnables, au sens de l’article 5 de la directive 2000/78, dès lors qu’elle permet à ce travailleur de conserver son emploi. 

Elle rappelle toutefois également que l’article 5 de la directive 2000/78 ne saurait obliger l’employeur à prendre des mesures qui lui imposeraient une charge disproportionnée. Dans le cadre de cette appréciation, la Cour rappelle qu’il convient de tenir compte, notamment, des coûts financiers qu’elles impliquent, de la taille et des ressources financières de l’entreprise et de la possibilité d’obtenir des fonds publics ou toute autre aide. Elle précise enfin que la possibilité de réaffecter une personne handicapée à un autre poste de travail n’existe qu’en présence d’au moins un poste vacant que le travailleur concerné est susceptible d’occuper.

Elle en conclut que la notion d’aménagements raisonnables implique qu’un travailleur qui, en raison de son handicap, a été déclaré inapte pour les fonctions essentielles du poste qu’il occupe, soit réaffecté à un autre poste pour lequel il dispose des compétences, des capacités et des disponibilités requises, pour autant que cette mesure n’impose pas à l’employeur une charge disproportionnée.

La Cour souligne que la circonstance que le travailleur bénéficie d’une prestation de sécurité sociale, à savoir une indemnité mensuelle, est sans incidence à cet égard. 

Qu’en penser ?

L’employeur est tenu de prendre ou, le cas échéant, de maintenir des aménagements raisonnables, tels qu’une réaffectation à un autre poste, si le travailleur définitivement inapte pour cause de handicap dispose des compétences, des capacités et des disponibilités requises aux fins de remplir les fonctions essentielles de cet autre poste. Il est également tenu de démontrer qu’une réaffectation est de nature à lui imposer une charge disproportionnée, avant de procéder au licenciement du travailleur.

Cet arrêt concerne une inaptitude définitive survenue suite à un accident de travail. L’obligation d’aménagements raisonnables concerne en effet tout travailleur en situation de handicap, en ce compris ceux atteints d’un handicap à la suite d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle.

 

Réf. : C.J.U.E., arrêt du 18 janvier 2024, J.M.A.R. c/ CA NA NEGRETA SA, C-631/22

C.J.U.E., arrêt du 10 février 2022, HR Rail, C-485/20

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