01-07-2016

Un employeur peut-il demander une expertise judiciaire pour faire constater l’incapacité définitive d’un travailleur ? (C.T. Liège, 22 janvier 2016)

Il est classiquement admis que l’incapacité définitive d’un travailleur constitue un cas de force majeure qui autorise l’employeur a constater la rupture du contrat de travail sans préavis ni indemnité. Cette incapacité définitive doit s’évaluer au regard du « travail convenu », c’est-à-dire de la fonction pour laquelle le travailleur a été engagé.

Ce principe a toutefois été remis en cause depuis l’entrée en vigueur de l’Arrêté Royal du 28 mai 2003, adopté dans le cadre de la réglementation relative au bien-être des travailleurs. Cet arrêté royal a en effet introduit une procédure de reclassement professionnel au profit des travailleurs définitivement inaptes, au terme de laquelle l’employeur peut être contraint, soit de reclasser le travailleur dans un autre fonction au sein de l’entreprise, soit d’adapter son poste de travail. Il ne peut échapper à cette obligation qu’à la condition de démontrer que cela n’est pas techniquement ou objectivement possible ou si cela ne peut être raisonnablement exigé pour des motifs dûment justifiés.

La mise en œuvre de cette procédure de reclassement professionnel dépend toutefois de la volonté du travailleur ; c’est en effet lui qui doit prendre l’initiative de solliciter son reclassement ou l’adaptation de son poste de travail, en produisant un certificat médical de son médecin traitant qui devra être communiqué au conseiller en prévention-médecin du travail.

L’employeur – qui ne dispose pas de cette possibilité – pourrait-il toutefois décider de solliciter la mise en œuvre d’une procédure d’expertise judiciaire en vue de faire établir l’incapacité définitive du travailleur ?

C’est la question qui a été soumise à la Cour du Travail de Liège, laquelle, par un arrêt du 22 janvier 2016, n’y a pas fait droit.

L’employeur fondait en effet son action sur l’article 18 du Code Judiciaire, qui n’autorise le recours à une action préventive que pour autant, notamment, que le demandeur établisse l'existence d'une menace grave et sérieuse au point de créer dès à présent un trouble précis. Or, en l’espèce, la Cour du Travail considère que la seule circonstance que l'exécution du contrat de travail soit suspendue depuis plus de 10 ans et que, son incapacité de travail se prolongeant, la travailleuse ne prenne pas l'initiative de saisir le conseiller en prévention-médecin du travail de l'entreprise aux fins de faire procéder à une évaluation de son état de santé ne génère pas une situation révélant l'existence d'une menace grave et sérieuse au point de créer dès à présent un trouble précis. Elle ajoute qu’il sera possible, pour l’employeur, d'introduire ls présente demande avant de poser, le cas échéant, le constat d'une rupture pour force majeure, dans l'hypothèse où la travailleuse viendrait à manifester son intention de reprendre le travail.

Qu’en penser ? A suivre le raisonnement de la Cour du Travail, l’employeur ne peut solliciter une expertise judiciaire pour vérifier l’incapacité définitive d’un travailleur absent de longue durée que lorsque celui-ci manifeste son intention de reprendre la travail.

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