03-06-2024

Dans un arrêt rendu le 22 mai 2024 (n° P.22.0797.F), la Cour de cassation a abordé la question de la responsabilité d'un travailleur suspendu et la possibilité pour l'employeur de réclamer le remboursement de la rémunération versée durant la suspension.

Les faits

Une travailleuse a été élue en 2008 comme représentante des travailleurs au conseil d’entreprise. Elle était également candidate (non élue) déléguée du personnel lors des élections sociales de 2012. En août 2012, la société découvre que la travailleuse s’est révélée coupable de faux et d’usage de faux, ainsi que d’escroquerie.

En conséquence, la société décide de licencier la travailleuse pour motif grave. Conformément à la procédure, l'employeur saisit le président du tribunal du travail qui, par une ordonnance, confirme l’impossibilité de concilier les parties. La société suspend alors le contrat de travail de la travailleuse et continue à lui verser une indemnité complémentaire aux allocations de chômage, comme prévu par l’article 9 de la loi du 19 mars 1991.

Procédure judiciaire

Après une série de procédures, le tribunal correctionnel condamne la travailleuse pour faux en écriture et escroquerie. L'employeur sollicite alors le remboursement des indemnités versées pendant la suspension du contrat.

Toutefois, la Cour d'appel de Bruxelles déboute l'employeur de sa demande, décision contre laquelle celui-ci se pourvoit en cassation.

Décision de la Cour de cassation

Dans son arrêt du 22 mai, la Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles, estimant que cette dernière a inadéquatement motivé sa décision en affirmant que la rémunération restait acquise à la travailleuse.

La Cour de cassation ouvre donc la porte à une possible réclamation par l'employeur pour le dommage subi en raison du paiement d'une rémunération pendant la période de suspension, sans prestation de travail en contrepartie.

En l'espèce, l'employeur avait argumenté que les infractions commises constituaient une faute au sens des articles 1382 et 1383 de l'ancien Code civil, et qu'elles avaient causé un dommage par le biais des indemnités payées sans prestation de travail en retour. La Cour de cassation rejette l'argument selon lequel ces indemnités restent définitivement acquises au travailleur, soulignant que l'employeur peut subir un dommage « consistant dans le fait de devoir consentir à des décaissements sans obtenir de prestation de travail ».

Conclusion

Cet arrêt ouvre la voie à une potentielle réclamation, par les employeurs, des rémunérations versées à un travailleur protégé pendant la suspension de son contrat de travail en cas de motif grave.

Les praticiens du droit de la fonction publique s’interrogeront : cet arrêt est-il transposable au droit de la fonction publique ? Le droit de la fonction publique statutaire connaît en effet beaucoup plus d’hypothèses de suspension des prestations avec maintien (le cas échéant partiel) du traitement.

De prime abord, il faut considérer que l’arrêt du 22 mai 2024 est transposable à la situation d’un fonctionnaire suspendu, puisqu’il se fonde sur les principes civilistes de responsabilité civile. Le fait que le droit au traitement du fonctionnaire découle du statut et ne soit pas la contrepartie de travail ne modifie pas ce constat : la Cour de cassation ouvre la voie à un remboursement, sous forme de dommages et intérêts, à ce qui aura été payé sous forme de traitement à un agent statutaire pendant sa période de suspension.

 

Référence: Cass., 22 mai 2024, n° P.22.0797.F

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