03-01-2017

Démission d’un travailleur sollicitée par l’employeur : gare au vice de consentement

 

Face à un travailleur adoptant un comportement susceptible de justifier un licenciement pour motif grave, la tentation peut parfois être grande pour l’employeur d’amener son travailleur à démissionner.

Il est vrai qu’au stade de (l’éventuelle) procédure judiciaire, la position de l’employeur est plus aisée. Il n’a en effet à établir ni le respect du double délai de trois jours ni la réalité et la gravité des motifs. La charge de la preuve repose sur le travailleur, auquel il appartient d’établir l’existence d’un vice de consentement (erreur, violence,…) afin de voir reconnaitre, par le juge, la nullité de sa démission.

Dans un jugement prononcé le 14 octobre 2016, le tribunal du travail francophone de Bruxelles reconnait l’existence de la violence morale, dans le chef d’un travailleur ayant démissionné. Partant, le tribunal constate la nullité de la démission et condamne l’employeur au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, estimant qu’il est l’auteur de la résiliation du contrat de travail, ayant refusé de donner accès au travailleur à son lieu de travail une fois la violence morale dénoncée.

Le tribunal déduit la violence morale des circonstances entourant la démission.

Dans les faits, après avoir été agressé verbalement et physiquement par une cliente d’un magasin, le travailleur a giflé ladite cliente. L’agression raciste dont le travailleur est la victime n’est pas la première. Il a d’ailleurs précédemment déposé plainte pour des faits de racisme commis par des clients dans l’enceinte de la société.

Suite à cet incident, l’employeur a immédiatement suspendu le travailleur lui indiquant par ailleurs que les faits commis sont graves et qu’il lui est loisible de présenter d’emblée sa démission.

Le lendemain des faits, le travailleur est convoqué à un entretien auquel participe un délégué syndical et trois représentants de l’employeur. La réunion dure deux heures. Le travailleur est ensuite autorisé à s’absenter afin d’aller chercher ses enfants à l’école. Il lui est toutefois demandé de revenir dans la foulée ce qui implique qu’il doive trouver rapidement une solution afin de faire garder ses enfants.

A son retour, le travailleur fini par signer la lettre de démission rédigée par l’employeur.

Le tribunal relève que :

- l’employeur a organisé la réunion au lendemain de l’incident dans l’unique but d’obtenir la démission du travailleur,

- la démission a été obtenue au terme de plusieurs heures de réunion,

- dans le cadre de cette réunion le travailleur a été confronté aux hauts responsables de la société,

- le travailleur a dû quitter la réunion puis revenir après être allé chercher ses enfants à l’école, ce qui n’a fait qu’augmenter son stress,

- la volonté de l’employeur de poursuivre cette réunion témoigne d’un acharnement en vue d’obtenir la démission du travailleur, lequel était déjà grandement fragilisé par l’agression raciste dont il était initialement la victime et que l’employeur se bornait à ne pas vouloir prendre en considération.

Considérant la violence morale établie et donc que la volonté du travailleur de rompre le contrat est affectée d’un vice de consentement, le tribunal constate la nullité de la démission et impute la rupture du contrat de travail à l’employeur, lequel avait refusé au travailleur l’accès à son lieu de travail lorsqu’il s’y était représenté dans la mesure où il considérait que sa démission était nulle.

Qu’en retenir ?

L’employeur qui souhaite obtenir la démission d’un travailleur auquel il reproche un fait qu’il estime (à tort ou à raison) être constitutif d’un motif grave doit veiller aux conditions dans lesquelles cette démission est décidée.

Ainsi, il convient certainement d’éviter d’obtenir la démission au terme de plusieurs heures de réunion dans un contexte où le travailleur est confronté à plusieurs membres de la société. Il est également conseillé de permettre au travailleur de se faire assister par un délégué syndical.

 

Réf.: Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 14 octobre 2016, RG n°14/13630/A

 

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