16-08-2018

Un jugement du tribunal du travail francophone de Bruxelles du 20 juin 2018 nous paraît l’occasion de rappeler quelques éléments importants :

-  Le principe de la convention loi l’emporte sur la loi du changement ;

-  Les contractuels de la fonction publique doivent bénéficier, par analogie, des dispositions de la convention collective de travail n°109 ;

-  Le travailleur licencié peut cumuler l’indemnité pour abus du droit de licencier et l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

Les faits de la cause soumise au tribunal du travail sont relativement classiques.

Une travailleuse est engagée, dans le cadre d’un contrat de travail, en tant qu’expert au greffe du tribunal de commerce de Charleroi.

Depuis son entrée en service, la travailleuse est occupée en qualité de bibliothécaire.

Au bout de six années d’occupation, la décision est prise de la réaffecter au greffe du tribunal de commerce en qualité d’assistance administrative.

La travailleuse conteste cette décision, arguant qu’il s’agit d’une modification unilatérale d’un élément convenu, à savoir sa fonction.

Face à l’absence de réaction favorable de son employeur, la travailleuse introduit une action en référé afin d’obtenir la condamnation de l’État belge à la maintenir dans ses fonctions.

En cours de procédure, la travailleuse est licenciée au motif qu’ « il est prioritaire de renforcer le greffe du tribunal de commerce du Hainaut et en conséquence (son) maintien à la bibliothèque n’a plus d’utilité ».

La travailleuse saisi alors le tribunal du travail afin de solliciter la condamnation de l’État belge au paiement d’une indemnité pour abus du droit de licencier et d’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

Dans le cadre de son appréciation, le tribunal rappelle tout d’abord que la demande d’indemnité pour abus du droit de licencier et la demande portant sur l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable visent deux objets différents. La première tend à obtenir la réparation du dommage résultant des circonstances du licenciement (le « comment » du licenciement), alors que la seconde vise à sanctionner l’employeur sur le plan de la motivation avancée pour justifier le licenciement (le « pourquoi» du licenciement).

Le tribunal rappelle que l’employeur est uniquement libre de modifier unilatéralement des éléments accessoires non convenus et/ou qui auraient fait l’objet d’une clause de révision.

L’employeur public ne peut justifier une modification unilatérale d’un élément convenu du contrat de travail en se prévalant de la loi du changement.

En l’espèce, quoique le contrat de travail ne précisait pas que la travailleuse était occupée dans la fonction de bibliothécaire, il ressort à suffisance des pièces du dossier que la fonction occupée constituait un élément convenu, à tout le moins tacite.

Selon le tribunal, l’État belge a donc commis une faute contractuelle qui fondait la travailleuse à contester son changement d’affectation mais également à introduire une action en référé afin d’obtenir le respect de son contrat de travail.

S’agissant du caractère manifestement déraisonnable du licenciement (le « pourquoi » du licenciement), le tribunal relève que si aucune réglementation ne régit le licenciement manifestement déraisonnable pour les contractuels du secteur public, la Cour constitutionnelle a, dans son arrêt n°101/2016 du 30 juin 2016, invité les juridictions de l’ordre judiciaire à faire, au besoin, une application analogique de la convention collective de travail n°109.

Le tribunal relève que c’est à tort que l’État belge prétend que le licenciement est justifié par les nécessités du fonctionnement du greffe en ce qu’il serait lié au refus de la travailleuse d’accepter une nouvelle affectation et que ce refus l’aurait contraint à constater l’impossibilité de poursuivre la relation professionnelle. Le tribunal n’aperçoit en effet pas en quoi le licenciement de la travailleuse est de nature à répondre aux nécessités du fonctionnement du greffe puisque (1) l’État n’apporte pas la preuve d’avoir engagé une assistante administrative à la suite du licenciement et que (2) le licenciement a privé le tribunal de toute bibliothécaire.

Le tribunal insiste ensuite sur le fait que le refus opposé par la travailleuse à sa réaffectation était tout à fait légitime de sorte qu’il ne peut pas non plus servir à justifier son licenciement. 

Enfin, le tribunal considère qu’aucun employeur normal et raisonnable n’aurait agi de la sorte, et octroie à la travailleuse une indemnité correspondant  à 17 semaines de rémunération.

S’agissant de la demande tendant à des dommages et intérêts pour abus du droit de licencier, le tribunal estime que la seule circonstance que le licenciement ait été notifié alors que la travailleuse avait introduit une procédure en référé suffit à conférer au licenciement un caractère abusif.  Le tribunal considère « qu’il n’est pas correct de la part d’un employeur de licencier un travailleur qui fait valoir des revendications en justice avant que la juridiction saisie n’ait précisément eu l’occasion de se prononcer sur la légitimité de ces revendications ». A l’estime du tribunal, le licenciement a été décidé aux fins de représailles.

Le dommage de la travailleuse réside dans un profond et légitime sentiment d’injustice et de dévalorisation, préjudice distinct de celui réparé par l’indemnité compensatoire de préavis et de celui réparé par l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

 

Réf: T.T. Bruxelles (fr.), 20 juin 2018, R.G. n°17/3949/A

 

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