18-01-2019
La question de la légalité des preuves recueillies à l’occasion d’un licenciement pour motif grave continue à faire débat. Ainsi, si la Cour de cassation a admis, dans un arrêt « Antigone » du 4 mars 2015, puis dans un arrêt du 10 mars 2008 rendu en matière de réglementation du chômage, que, moyennant le respect de certains critères, des preuves recueillies irrégulièrement en matière pénale pouvaient être utilisées, les juridictions du fond ne sont pas unanimes pour admettre ce principe en matière de droit du travail.
La Cour du Travail de Bruxelles dans son arrêt du 22 février 2018, a ainsi été amenée à trancher la régularité de preuves recueillies par l’employeur sur l’adresse email professionnelle. En substance, le travailleur avait été licencié au motif qu’il avait transféré, au départ de sa boîte mail professionnelle, des documents – notamment des listings de clients – sur une boîte mail privée.
La Cour constate que la prise de connaissance de ces éléments a été effectuée de façon intentionnelle et non fortuite. En l’absence d’autorisation préalable du travailleur, l’employeur a violé l’article 124 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques.
La Cour constate encore que l’ingérence de l’employeur dans la vie privée du travailleur n’a pas été réduite au minimum comme l’impose l’article 6 de la convention collective de travail n°81 du 26 avril 2002. Le simple fait que la messagerie du travailleur était accessible sur une boite électronique commune ne suffisait pas à dispenser l’employeur de fournir au travailleur l’information requise par la convention collective de travail n°81, de sorte qu’il y a violation des dispositions contenues dans cette CCT.
La Cour entend se conformer au principe d’exclusion des preuves illégales et irrégulières en matière civile.
Elle constate que l’arrêt du 10 mars 2008 de la Cour de cassation, bien que rendu en matière de chômage énonce des critères conçus pour le droit pénal. Or, en l’espèce, les faits reprochés au travailleur s’analysent en des fautes contractuelles ou extracontractuelles, non en des infractions pénales ou commises en matière de sécurité sociale. Il n’y a donc pas lieu de mettre en balance la gravité de l’irrégularité commise et celle d’une infraction que cette irrégularité viserait à établir et à réprimer.
La Cour rappelle et confirme l’arrêt du 4 août 2016 de la Cour du Travail de Bruxelles lequel énonce que « (…) la sanction de l’irrégularité de la preuve est, en règle, l’inadmissibilité de celle-ci. L’arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2008, rendu en matière de chômage, ne saurait être interprété comme permettant à tout employeur de porter atteinte, en toute impunité, au droit fondamental à la protection de la vie privée de ses travailleurs, et de violer les dispositions sanctionnées pénalement qui encadrent le contrôle des données de communication électronique, en vue d’établir un motif grave même non constitutif d’une infraction pénale (…).
Si l’extension de la jurisprudence « Antigone » en matière fiscale ou de sécurité sociale a pu se justifier par le souci d’assurer l’efficacité de la répression administrative ou pénale des infractions commises dans ces matières, son extension sans limites aux relations contractuelles de pur droit privé risquerait d’aboutit à une transgression systématique des dispositions sanctionnées pénalement qui protègent la vie privée, dans le seul but d’établir des fautes ou des comportements qui, quant à eux, ne sauraient laisser prise à la qualification d’infraction pénale ».
Pour la Cour, en décider autrement reviendrait à faire primer le droit de surveillance de l’employeur sur le droit au respect de la vie privée du travailleur, alors qu’à l’inverse du premier, il s’agit d’un droit fondamental.
Qu’en penser ?
Si une dérogation a été admise à la règle bien établie de la non recevabilité des preuves recueillies irrégulièrement en matière pénale et de sécurité sociale pour des raisons d’efficacité de la répression, certaines juridictions du fond s’opposent à son extension dans le cadre du droit du travail, dès lors que celui-ci implique des relations contractuelles.
Dès lors que les comportements reprochés au travailleur ne sont pas qualifié pénalement ou ne nécessitent pas une répression administrative ou pénale, il convient de considérer que le droit au respect de la vie privée du travailleur constitue un droit fondamental qui prime sur le droit de surveillance de l’employeur.
Réf. : C.T. Bruxelles, 22 février 2018, R.G.2015/AB/438