18-01-2019

Dans un arrêt du 17 avril 2018, la Cour du Travail de Liège a examiné la question de la preuve de la faute du travailleur obtenue par la mise en place d’un « mistery shopping ».  Ce terme désigne l’utilisation et la mise en place de "vistes mystères" afin de mesurer de la qualité de l’accueil fourni par les employés d’un point de vente. Cette technique permet aux employeur de surveiller et contrôler l’application des consignes et procédures en points de vente.

En l’espèce, une travailleuse, exerçant en qualité de vendeuse dans une chaine de bijouteries, a été licenciée à la suite de trois contrôles négatifs dans le cadre d’achats mystères.

Le règlement de travail ainsi qu’un avenant au contrat de travail de l’intéressée prévoyait le recours à ce procédé et le définissait comme « un contrôle discret et inopiné via des acheteurs mystères, régulièrement réalisé et portant notamment sur l’accueil clientèle et l’encaissement d’argent ».

La Cour relève que la technique de « mistery shopping » est de plus en plus répandue notamment dans le secteur économique et financier, où elle est toutefois strictement règlementée et confiée à des agents dont les compétences relèvent du pouvoir public, dans un but notamment de protection des consommateurs.

Selon la Cour, le contexte est tout autre que celui de la relation contractuelle de travail et de la surveillance interne de sa bonne exécution.

La méthode du « mistery shopping » et la preuve issue de celle-ci ne répondent en effet à aucune disposition spécifique qui serait contenue dans la loi ou toute autre norme législative.

Il s’agit dès lors de se poser la question de la licéité de la preuve qui se fonde sur cette méthode, notamment au regard de l’article 8 de la CEDH, de l’article 22 de la Constitution et de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel (remplacée désormais par la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel).

La Cour s’interroge notamment sur la pertinence des articles 2, 3, 16 et 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail comme base légale qui permettrait à l’employeur de s’ingérer dans la vie privée du travailleur.

Elle relève, par ailleurs, que « les clients mystères » peuvent poser un acte qui correspond à la définition du rôle d’un détective privé qui agirait sur le lieux du travail. La validité de leur intervention pourrait être posée au regard de l’article 1er la loi du 19 juillet 1991 qui définit le rôle du détective privé. En l’espèce, la Cour relève que c’est un membre du personnel de l’employeur qui a réalisé le premier contrôle qui ne peut être considéré comme un détective privé.

Plus généralement, se pose la question de l’identification du client mystère afin d’analyser le respect des garanties dont l’employeur affirme s’entourer pour réaliser ces tests en toute légalité et transparence.

La Cour insiste sur l’importance de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements des données à caractère personnel sans néanmoins se prononcer à cet égard dès lors que cette question n’a pas fait l’objet des débats.

Elle relève aussi que le premier contrôle sort du cadre annoncé aux travailleurs dès lors que l’employeur était présent et a observé le déroulement de l’achat mystère. Elle estime que les constats ne sont pas purement objectifs et factuels et que la technique repose sur une appréciation très subjective dès lors que de nombreuses questions posées à la travailleuse tournent autour du « sentiment », ce qui ne relève pas de l’objectivité.

La Cour met également en exergue l’absence de caractère contradictoire dès lors que les rapports issus des « mistery shopping » n’ont pas été communiqués à la travailleuse.

En l’espèce, la technique des clients mystères est utilisée comme une menace en dehors de tout contexte objectif, inopiné, aléatoire et transparent comme le soutien l’employeur.

La Cour du Travail de Liège conclut par conséquent que « dans ce contexte, même à considérer sur le principe, ce qui est loin d’être acquis, que les évaluations résultant des contrôles réalisés par des clients mystères soient un mode de preuve légal ou à défaut, puissent être pris en compte malgré leur illégalité (ce qui relève encore d’un autre débat, celui de l’application ou non de la jurisprudence dite « Antigone »), la Cour considère que ces évaluations manquent d’une élémentaire objectivité eu égard à leur contenu (cotation imprécise, expression d’un sentiment) ou leur contexte (aucune information sur la personne du client mystère et menace préalable de l’employeur) et d’une élémentaire contradiction (pas de communication du rapport, de discussion sur son contenu et pas de reconnaissance fiable des faits).

Une telle évaluation ne peut donc fonder un licenciement pour motif grave qui nécessite dans le chef de l’employeur de rapporter la preuve certaine et non unilatéralement construite, d’une désinvolture relevant d’un comportement volontaire ou malicieux. »

 

Qu’en penser ?

 

Si la technique du « mistery shopping » mise en place par l’employeur manque d’objectivité et de contradiction, l’évaluation qui en résulte ne pourra pas fonder le licenciement pour motif grave.

Le « mistery shopping » doit respecter certains principes fondamentaux : le client mystère doit être identifiable, l’évaluation qui en résulte doit se fonder sur des critères objectifs et être contradictoire. Ce n’est que moyennant le respect de ces principes que la technique du « mistery shopping » pourrait éventuellement être admise comme mode de preuve légal.

L’employeur qui recourt à cette technique doit toutefois être prudent car il n’est pas certain que les éléments qu’il pourrait en retirer puissent être produits en Justice.

 

Réf. : C.T. Liège, div. Liège, 17 avril 2018, R.G. 2017/AL/174.

 

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