20-02-2020

L’article 32tredecies de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail prévoit qu’un employeur ne peut mettre fin à la relation de travail des travailleurs ayant introduit une demande d’intervention psychosociale formelle pour des faits de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail.

Cette interdiction de licencier n’est, toutefois, en rien absolue : l’employeur peut procéder au licenciement si celui-ci se fonde sur des « motifs étrangers à la demande d'intervention psychosociale formelle pour faits de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail, à la plainte, à l'action en justice ou au témoignage ». Bref, l’employeur reste libre de licencier son employé mais il doit démontrer qu’il ne le fait pas à cause de la plainte.

Qui plus est, cette obligation de motivation spécifique est limitée dans le temps : la charge de la preuve pèse sur l’employeur au cours d’une période de 12 mois suivant le dépôt de la plainte.

Dans l’hypothèse où l’employeur licencie sans démonstration de motifs étrangers à la plainte, celui-ci est alors redevable d’une indemnité correspondant à six mois de rémunération brute.

Se posait alors à la jurisprudence une question : les motifs du licenciement doivent-ils être étrangers au seul dépôt de la plainte pour harcèlement au travail ou les motifs du licenciement doivent-ils également être étrangers au contenu de la plainte ? En résumé, le licenciement du travailleur protégé peut-il se fonder sur des éléments factuels précisément visés dans cette plainte ?

Une partie considérable de la jurisprudence des Cours du travail de Gand, Liège et Bruxelles avait répondu par la négative : si les faits doivent être étrangers à la plainte, cela englobe son contenu. La Cour du travail de Mons avait, dans un arrêt de 2018, adopté également cette position.

Dans un arrêt du 10 octobre 2017, la Cour du travail de Bruxelles a adopté une attitude différente, jugeant que « c’est à tort que le premier juge a interprété cette disposition [l’article 32tredecies] en prônant que les motifs du licenciement doivent être étrangers au dépôt de la plainte mais également aux faits invoqués dans la plainte ».

La Cour a conclu que « L’employeur doit donc démontrer que le licenciement est motivé par d’autres faits que le dépôt même de la plainte, et il n’est nullement tenu de démontrer que les motifs du licenciement sont étrangers aux faits évoqués dans la plainte, puisque cette dernière exigence ajouterait une condition au texte de loi qui n’y figure pas ».

La Cour débouta finalement le travailleur de la demande d’indemnité de protection : le dépôt de la plainte étant inconnu de l’employeur lors du licenciement, les motifs de ce dernier étaient bien étrangers au dépôt.

Bien entendu, la réponse aurait pu être tout autre si la Cour avait dû analyser les motifs du licenciement en les comparant avec les motifs de la plainte spécifiés dans celle-ci.

Pourvoi fut dès lors dirigé contre cet arrêt. La Cour de cassation répondit très clairement dans un arrêt du 20 janvier 2020 : « Si cette disposition [l’article 32tredecies] interdit à l’employeur de mettre fin à la relation de travail en raison du dépôt de la plainte, elle n’exclut pas que le licenciement puisse être justifié par des motifs déduits de faits invoqués dans cette plainte ».

La Cour de cassation règle ainsi la controverse jurisprudentielle : les motifs du licenciement doivent être étrangers au dépôt de la plainte, pas à son contenu. Suivant cette interprétation de l’article 32tredecies, §1er de la loi du 4 août 1996, l’employeur peut donc motiver le licenciement en se référant à des faits dont le travailleur fait état dans sa plainte pour harcèlement moral au travail. La Cour de cassation considère que de tels motifs sont étrangers à la plainte.

Cet arrêt de la Cour de cassation revêt une importance certaine puisqu’il met fin à un désaccord jurisprudentiel et choisit d’écarter toute une argumentation bien développée par plusieurs Cours du travail. La preuve des motifs étrangers est facilitée pour l’employeur : même s’il justifie le licenciement par des éléments que l’on retrouve dans la plainte, il s’agira de justifications étrangères au dépôt de celle-ci.

Si la charge de la preuve de motifs étrangers continue de reposer sur l’employeur, le travail de ce dernier est facilité puisque l’objet de la preuve est désormais réduit.

La Cour a opéré ainsi une subtile distinction entre motifs étrangers à la forme de la plainte – son dépôt – et au fond de celle-ci – son contenu. La protection du travailleur en ressort grandement affaiblie. En outre, on s’étonnera de cette solution : alors que l’article 32tredecies, §1er parle de « motifs étrangers à la plainte », la Cour de cassation estime que la loi interdit de mettre fin à la relation de travail « en raison du dépôt de la plainte ». Ne serait-ce pas la Cour de cassation qui, de la sorte, rajouterait une condition à la loi ?

 

Réf.: Cass., 20 janv. 2020, RG n° S.19.0019.F

 

 

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