29-03-2022
Monsieur R. entre au service de la société A. le 1er juin 2000 en qualité de « senior marketing representative ». Satisfaite de ses services, la société A. lui permet de grimper les échelons et Monsieur R. devient, à partir de 2011, directeur commercial pour la Belgique et le Grand-Duché du Luxembourg, avec une équipe de représentants de commerce sous sa direction.
Monsieur R. est licencié le 25 octobre 2019 moyennant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Il introduit alors une action auprès du Tribunal du travail d’Anvers, division Anvers, soutenant qu’il était un représentant de commerce et avait droit à une indemnité d’éviction d’un montant de l’ordre de 75.000,00 €.
L’employé tente de démontrer qu’il était un représentant de commerce en produisant des listes de clientèle sur plusieurs années supposées démontrer un apport de clientèle. Le Tribunal remarque, cependant, que son nom n’apparaît pas dans les listes.
Monsieur R. utilise également une série de mails censés démontrer l’existence de négociations et d’accords qu’il aurait conclus avec des clients, grossistes en matériaux. Le Tribunal relève, toutefois, que ces clients sont le résultat d’un contrat-cadre conclu par le « general manager » et le « key account manager » au nom et pour le compte de l’employeur.
Monsieur R. ne prouve donc pas un apport de clientèle qui ouvrerait le droit à une indemnité d’éviction.
En outre, le Tribunal relève que le rôle du directeur commercial n’est pas principalement de prospecter de la clientèle mais de déterminer la politique commerciale, d’améliorer les résultats financiers, de définir la stratégie commerciale et de coordonner l’action des représentants de commerce.
Les contacts de Monsieur R. avec la clientèle sont inhérents à son importante fonction. De même, les visites à l’étranger auprès de clients importants sont normales pour un directeur commercial, de sorte que les notes de frais relatives à des nuits d’hôtel ne démontrent nullement qu’une clientèle aurait été prospectée et apportée à l’employeur.
Enfin, le Tribunal souligne que le contrat de travail a expressément précisé que Monsieur R. ne disposait pas du pouvoir de conclure des offres ou de signer des contrats, excluant la fonction de représentant de commerce.
Monsieur R. avait opposé à cela un document intitulé « power of attorney » lui donnant pouvoir de négocier et de conclure des accords commerciaux avec des clients dans le Benelux.
Le Tribunal considère, cependant, que ce document n’est pas fondamental : d’une part, il date du 25 avril 2018, soit quelques mois avant la rupture du contrat de travail, d’autre part, Monsieur R. ne démontrait pas en avoir fait concrètement usage.
En conclusion, le Tribunal juge que Monsieur R. ne démontre pas que, principalement, il visitait de la clientèle, négociait et concluait des affaires. Il n’était donc pas un représentant de commerce, la fonction de « sales manager », à la tête d’une équipe de représentants de commerce, ne se confondant pas avec cette dernière. L’indemnité d’éviction n’est pas due.
Qu'en penser ?
Il n’est pas rare qu’un « sales manager » se considère comme un représentant de commerce au sens de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.
L’usage de termes anglais pour désigner les fonctions ne clarifie pas toujours les choses. Le « sales manager » est, stricto sensu, un directeur commercial. Celui-ci a généralement sous ses ordres une équipe de représentants de commerce.
Est-il pour autant un représentant de commerce ? La jurisprudence, en particulier néerlandophone, a fréquemment pu rappeler que ce n’était pas le cas (C. T. Bruxelles, 23 octobre 2012, R.G. n°2012/AB/425 ; C. T. Bruxelles, 18 mars 2014, R.G. n°2013/AB/387 ; T. T. Anvers, sect. Tongres, 4 juin 2014, R.G. n°13/1842/A ; T. T. Gand, sect. Gand, 26 juin 2014, R.G. n°13/903/A ; C. T. Gand, sect. Gand, 14 avril 2014, R.G. n°2012/AG/174).
La jurisprudence francophone, plus rare en la matière, est déjà arrivée à la même conclusion (C. T. Liège, sect. Liège, 23 septembre 2011, R.G. n°2009/AL/36.242).
Le Tribunal du travail d’Anvers rappelle ainsi qu’avoir sous sa direction des représentants de commerce n’a pas pour conséquence que l’on en est un. Visiter des clients, se déplacer à l’étranger pour les rencontrer et disposer d’un certain pouvoir pour conclure et négocier des contrats sont des activités inhérentes à une fonction de directeur commercial. Elles ne suffisent pas pour démontrer que celui-ci est également un représentant de commerce, soit quelqu’un dont la fonction principale est de prospecter une clientèle, de lui rendre visite, de négocier et de conclure avec elle des affaires.
Réf.: T. T. Anvers, div. Anvers, 2 décembre 2020, R.G. n°19/2999/A.