14-06-2022
Par un arrêt du 23 mars 2022, la Cour de cassation s’est prononcée dans le cadre de l’affaire dite du pont de Cheratte. Elle a rejeté les pourvois dirigés par 17 syndicalistes contre un arrêt rendu le 19 octobre 2021 par la Cour d’appel de Liège, chambre correctionnelle, confirmant leur condamnation à des peines d’emprisonnement et d’amende pour entrave méchante à la circulation.
Ces 17 syndicalistes (dont le président et certains autres dirigeants du syndicat concerné) avaient, parmi d’autres (qui n’ont pas pu être formellement identifiés et poursuivis), participé au blocage de l’autoroute A3/E40 (Bruxelles-Aachen et Aachen-Bruxelles) à hauteur de Cheratte, en date du 19 octobre 2015. Cette action était organisée à l’occasion d’une journée de grève générale lancée à l’initiative du syndicat, afin de protester contre diverses mesures du Gouvernement fédéral. Elle a duré plus 5 heures, entraîné un bouchon de 400 km et des dégradations matérielles évaluées à plusieurs milliers d’euros.
Cette affaire a déjà fait couler beaucoup d’encre. Il ne s’agit donc pas ici de revenir sur les limites pouvant entourer le droit de grève qui, comme tout autre droit, n’est pas absolu, ni en particulier sur la circonstance que le droit de grève ne constitue pas une cause absolue de justification pénale des infractions qui seraient commises en temps de grève. Ces principes, rappelés par la Cour d’appel de Liège dans son arrêt du 19 octobre 2021, ont été largement commentés.
La présente se donne un tout autre objet, bien plus élémentaire aurions-nous pu le croire, à savoir celui de rappeler l’existence du droit de grève en Belgique. La Cour d’appel de Liège rappelait cette évidence en ces termes : « il est actuellement acquis que le droit de grève est un droit et qu’(…), il est qualifié de fondamental ».
C’était sans compter sur l’arrêt de la Cour de cassation du 23 mars 2022 qui dénie tout effet direct (soit la possibilité d’être directement invoquée en justice par un particulier) à la disposition consacrant de manière expresse le droit de grève en Belgique, soit l’article 6.4 de la Charte sociale européenne révisée, lequel dispose comme suit : « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit de négociation collective, les Parties reconnaissent le droit des travailleurs et des employeurs à des actions collectives en cas de conflits d’intérêt, y compris le droit de grève, sous réserve des obligations qui pourraient résulter des conventions collectives en vigueur ».
La Cour de cassation énonce, en effet, ce qui suit : « Les articles 6.4 et N de la Charte stipulent que les États parties reconnaissent le droit de grève et peuvent le réglementer. Dénuées du caractère suffisamment clair et précis qui permettrait de leur reconnaître un effet direct, ces dispositions n’attribuent pas aux demandeurs, prévenus, un droit subjectif qu’ils pourraient faire valoir à l’encontre des sanctions pénales requises à leur charge ».
Un tel positionnement nous paraît, particulièrement, interpellant, en ce qu’il risque de faire renaître une controverse que nous pensions pourtant dépassée depuis de nombreuses années. L’effet direct de l’article 6.4 de la Charte sociale européenne révisée n’était, en effet, plus contesté en Belgique, depuis sa reconnaissance par le Conseil d’État, la Cour constitutionnelle et plusieurs juridictions de l’ordre judiciaire.
Les 17 syndicalistes ont déjà annoncé l’introduction d’un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, dont on sait qu’elle considère, de manière constante, que le droit de grève fait partie intégrante de la liberté d’association consacrée par l’article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Nul doute que la juridiction strasbourgeoise saura le rappeler à la Belgique.
En tout état de cause, cet arrêt démontre la nécessité de consacrer de manière expresse le droit de grève dans la Constitution belge, à l’instar de ses homologues française et italienne, lesquelles disposent comme suit : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».
Qu’en penser ?
Le droit de grève est un droit fondamental qui, comme tout droit, n’est pas absolu. Il peut, en effet, faire l’objet de restrictions. Ainsi, le droit de grève ne constitue pas une cause absolue de justification pénale des infractions qui seraient commises en temps de grève.
Son existence ne peut toutefois être remise en cause. A ce titre, le positionnement de la Cour de cassation déniant tout effet direct à l’article 6.4 de la Charte sociale européenne révisée est interpellant.
Réf. : Cass., 23 mars 2022 (N° P.21.1500.F).